De la paillasse au patient

Dans cette rubrique, des articles et entrevues avec des acteurs du monde de la recherche médicale et des patients, pour comprendre :

  • Les différentes étapes qui mènent à l'élaboration d'un traitement, non pas de manière générale mais en se focalisant sur les spécificités de notre maladie ;

  • L'importance de l'implication des patients dans ce processus et les bénéfices qu'ils peuvent en tirer, même en l'absence de traitement ;

  • La nécessité pour les patients de porter leur voix auprès des décideurs publics et privés (ce que les Anglo-Saxons appellent le "self-advocacy") pour faire connaître leurs attentes, faire valoir leurs droits d'hommes et de citoyens, ne laisser personne décider à leur place du bien-fondé de leur administrer ou non un traitement...

La recherche médicale et clinique ne peut être réalisée qu'avec les patients. Leur rôle est fondamental tout au long de ce processus. C'est pourquoi nous sommes convaincus de l'importance d'avoir accès à l'information le plus en amont possible, pour permettre cette implication qui est gage de succès.

Qu'est-ce qu'une Étude d'histoire naturelle ? Quel bÉnÉfice pour les patients ?

Aux Pays-Bas, des chercheurs et des cliniciens du Centre des Maladies musculaires (Spierziekten Centrum) de l'Université Radboud mènent actuellement une étude d'histoire naturelle de la DMC LAMA2. Le Dr Karlijn Bouman est l'un de ces chercheurs.


Bonjour Dr. Bouman, pouvez-vous expliquer ce qu'est une étude d'histoire naturelle ? Comment est-elle menée ? Que recherchez-vous ? Combien de temps dure-t-elle ? Et à quoi sert-elle ?

Une étude d'histoire naturelle est une étude sur une maladie, qui suit au fil du temps des patients atteints de celle-ci : des informations sur la santé sont collectées afin de mieux comprendre comment la maladie se développe. Nous n'essayons pas d'influencer l'évolution de la maladie elle-même. En d'autres termes, une étude d'histoire naturelle ne vise pas à tester de (nouvelles) options de traitement possibles ou de nouvelles thérapies. Nous observons uniquement l'évolution naturelle de la maladie chez les participants.

Dans notre étude d'histoire naturelle, nous suivons des patients chez qui on a diagnostiqué une dystrophie musculaire liée à la protéine LAMA2 (MDC1A) pendant 1 an et demi. Avec le docteur Nicol Voermans, le docteur Corrie Erasmus, le docteur Jan Groothuis et tous les autres membres de notre équipe de recherche, j'essaie de recueillir des informations sur différents domaines de la maladie, notamment la fonction musculaire, la fonction cardiaque, la fonction respiratoire et la qualité de vie.

Les patients se rendent quatre fois à notre institut (Spierziekten Centrum Radboudumc, Nijmegen, Pays-Bas) en un an et demi. Notre objectif est de décrire l'évolution de la maladie, afin que les médecins puissent mieux informer les patients ou leurs parents sur leur maladie musculaire. En outre, nous voulons sélectionner des mesures de résultats qui peuvent être utilisées pour de futurs essais cliniques avec d'éventuelles nouvelles options de traitement. Enfin, nous souhaitons améliorer le traitement clinique actuel des patients atteints de dystrophie musculaire liée à la LAMA2 et des maladies musculaires en général.


Combien de patients comptez-vous actuellement ? S'agit-il uniquement d'enfants ?

Actuellement, 20 patients atteints de dystrophie musculaire liée au gène LAMA2 participent à notre étude d'histoire naturelle. Des patients de tous âges peuvent participer. Environ deux tiers de nos participants sont des enfants, et un tiers des adultes. Grâce à la large fourchette d'âge de nos participants, nous pouvons en apprendre davantage sur la maladie musculaire à différentes étapes de la vie. Nous tenons à remercier tous les patients qui participent à notre étude.

Bram Verbrugge est le père de Sara, 5 ans au moment de l'entrevue. Il nous explique pourquoi sa fille participe à cette étude d'histoire naturelle prospective et l'intérêt qu'elle en tire :


Bram, vous êtes à la fois fondateur de l'association néerlandaise Stichting Voor Sara (https://www.voorsara.nl/) et père de Sara, qui est atteinte de LAMA2 CMD.

Votre fille participe-t-elle à l'étude d'histoire naturelle ?

Oui, elle participe. Elle y est allée deux jours maintenant et la prochaine visite est prévue pour le mois de mai.


De votre point de vue, est-il contraignant pour les patients ou leurs familles de participer à une telle étude ? Quels avantages retirez-vous de ces visites ?

Non, nous ne considérons pas cela comme une charge. L'étude de l'histoire naturelle prend 3 jours par an et ce sont des journées intenses et difficiles. Mais les chercheurs sont très attentifs et ne vous demandent pas de faire quelque chose d'impossible ou de trop difficile. Nous croyons vraiment en cette étude et nous sommes donc très heureux qu'elle soit menée aux Pays-Bas. Pour nous, le fait que les chercheurs effectuent davantage de contrôles que les rendez-vous habituels à l'hôpital est également un avantage, et nous pensons que cela peut aider à prendre des mesures plus tôt si nécessaire. Par exemple, notre fille prend des comprimés de calcium pour renforcer ses os. C'est l'étude d'histoire naturelle qui a révélé que cela était nécessaire.


Retrouvez la totalité de l'entrevue avec Bram Verbrugge de l'Association Stichting Voor Sara dans notre 2e newsletter

l'Importance de l'implication des patients,

par Valérie allamand, docteur en génétique

Valérie Allamand est docteur en génétique, Directrice de recherche INSERM, et travaille plus spécifiquement sur la matrice extracellulaire (d'abord pour la DMC liée au collagène VI mais aussi pour la DMC LAMA2), au sein de l'Institut de Myologie mais également à l'université de Lund, en Suède.



Bonjour Valérie. Pour les patients, le monde de la recherche peut sembler lointain et inaccessible, tout en étant porteur d'espoir pour nos maladies si peu connues et médiatisées. Très concrètement, que peut-on faire en tant que patients, parents de patients ou association pour vous aider et vous soutenir ?

Dans un premier temps, vous pouvez, comme vous le faites si bien, mobiliser la communauté de patients et diffuser des informations importantes afin que le plus grand nombre de patients/familles soit au courant du parcours diagnostique, de la prise en charge, des projets de recherche qui ont lieu et des progrès nous rapprochant de développement thérapeutiques, etc.


Cela nous soutient et nous aide, nous chercheurs, car nous avons besoin que les patients soient mobilisés et réceptifs à certaines demandes de prélèvement de matériel biologique qui peuvent être très importants pour nos projets de recherche. Et, au moment où des études cliniques démarreront, nous aurons besoin de vous, de votre implication, de votre participation… et de patients avec une masse musculaire la mieux préservée possible et un état général le moins dégradé possible.

Quels sont vos besoins (autres que financiers ?) Et comment les patients peuvent contribuer et s'impliquer dans vos recherches ou vous permettre de lancer de nouvelles approches ?


Nos travaux sont majoritairement réalisés sur des cellules issues de biopsies de patients (cutanées ou musculaires).

L’accès au matériel biologique (cellules, prélèvements sanguins pour extraction d’ADN ou obtention de sérum ou plasma, voire urines) est crucial.


Votre implication dans des études d’histoire naturelle est aussi très importante car plus nous connaissons les maladies et leur progression, avec des paramètres para-cliniques (imagerie, taux de CPK, autres analyses biochimiques etc…), plus nous pouvons essayer de corréler nos résultats avec ces données. Cela permet de prendre en compte et parfois minimiser la variabilité inter-individuelle qui peut parfois masquer certains résultats intéressants.

En quelques mots : quelles sont vos approches pour Lama2 ?


J’ai une formation de génétique humaine donc j’ai beaucoup œuvré pour identifier et mieux comprendre les bases moléculaires des maladies sur lesquelles j’ai travaillé. Et par ailleurs, lors de mon post-doc aux États-Unis, j’ai développé des approches de thérapie génique.


J’ai donc à cœur de combiner ces deux expertises pour développer des approches qui permettront de ré-exprimer la chaîne alpha2 de la laminine.

Je me concentre plutôt sur les mutations non-sens qui empêchent la synthèse de la protéine à cause des codons stop prématurés (PTC) qu’elles induisent.


Les approches que mon groupe développe visent à :

1) empêcher la dégradation des ARN messagers portant ces PTC et

2) favoriser la synthèse de la protéine de taille normale grâce à un mécanisme appelé « translecture ».


Ces approches seront très vraisemblablement à combiner. Tout récemment j’ai aussi entamé une collaboration avec un groupe américain qui devrait permettre de produire la protéine de taille ET de séquence normale.



L'hétérogénéité des formes cliniques sur les patients atteints de DMCA1 est une particularité rendant aussi les approches thérapeutiques difficiles. En quoi cela peut-il être une force ? Est-ce utile, en tant qu'association de patients de pouvoir vous permettre d'avoir des cas cliniques différents ? Comment pouvez vous prendre en compte cela ?


Comme je l’ai dit précédemment l’hétérogénéité clinique peut masquer certains résultats intéressants, mais elle nous apprend aussi beaucoup sur les corrélations génotype (le type de mutation) – phénotype (la présentation clinique), donc sur le gène LAMA2, et sur la protéine, et éventuellement sur des facteurs « externes » qui peuvent influencer la progression ou le degré de sévérité de la maladie (gènes ou variants modificateurs).

De plus, en fonction du type de mutation (et donc de la forme clinique), différentes approches thérapeutiques peuvent être pertinentes. Plus nous pouvons tester nos hypothèses sur du matériel biologique issu de cas cliniques différents, plus nos résultats peuvent être considérés comme fiables et solides.


Les progrès dans les autres dystrophies musculaires (DM) sont importants. Comment la DMCA1 peut aussi profiter de ces progrès ? Comment les chercheurs peuvent-ils faire le lien entre toutes ces avancées ? Est ce que les patients - par leur implication, leurs questionnements, leurs propres recherches - peuvent participer à cet effort ?

Le point commun des DM est le tissu cible : le muscle (squelettique ou cardiaque majoritairement). Donc toute connaissance acquise dans le cadre d’études menées sur d’autres DM peut apporter quelque chose à la DMCA1.

De même pour les approches thérapeutiques développées pour d’autres DM. Par exemple, l’"exon skipping" [le saut d'un exon porteur d'une mutation pathogène, ndlr] ou la translecture ou les approches d’édition du génome ou de thérapie cellulaire ou génique… en tenant compte bien sûr des spécificités du gène LAMA2 et de la protéine correspondante.

L’implication des patients est aussi importante car vous pouvez partager avec nous les informations sur les mutations portées, vos données cliniques, notamment en contribuant aux bases de données/registres qui se mettent en place. Et vos questionnements nous font aussi réfléchir à ce que nous faisons, ou pourrions faire, et c’est très important.

Pourquoi avoir choisi la Suède pour aller en sabatics ? Que représente la part de la recherche européenne et internationale pour vous ?

Je suis rentrée de post-doc en 2001 et depuis je suis à Paris, dans le même laboratoire (même s’il a beaucoup changé au fil des années), donc j’avais grand besoin de changement et une grosse envie de quitter Paris.

J’étais en post-doc avec Madeleine Durbeej-Hjalt [professeur de biologie musculaire à l'université de Lund, elle aussi spécialiste de la matrice extra-cellulaire] et nous avons toujours gardé contact et collaboré. Étant donné les similitudes entre les DMC liées au collagène VI et à la laminine-211, j’ai voulu concilier mon expertise et celle de Madeleine.

Sans doute de par mes expériences passées (au cours de mes études et de ma carrière, j’ai passé du temps dans des laboratoires Irlandais, américains, japonais), je ne conçois la recherche que comme internationale. J’ai toujours eu des collaborateurs internationaux et je considère que cela est une très grande chance et richesse. Et pour ce qui est des maladies rares, la dimension internationale me semble incontournable.

Ma mobilité en Suède a été très enrichissante et a clairement redynamisé mes projets. Mon but est de poursuivre cette collaboration de façon étroite et de continuer à passer du temps à Lund.